En matière de conflits, nous n’envisageons souvent pas d’autre option que de passer l’éponge et enterrer la hache de guerre. Pourtant, selon Michael Gregory, expert en résolution des conflits, il existe une meilleure alternative : une réconciliation avantageuse pour les deux parties. Il s’agit du style collaboratif de gestion des conflits. Quel est le secret de la réussite ? La collaboration, en particulier lorsqu’elle semble être la dernière chose souhaitée.
The Collaboration Effect
The Collaboration Effect, le livre de Michael Gregory consacré au style collaboratif de gestion des conflits, examine comment surmonter des conflits en travaillant de manière collaborative. Faisant la synthèse de plusieurs décennies d’expérience dans le domaine des recherches sur les neurosciences modernes, Michael Gregory évoque ce qu’il considère comme les trois éléments centraux pour tirer parti du pouvoir de la collaboration afin de résoudre des conflits :
Établir des relations favorisant les connexions
Écouter activement
Former judicieusement
Aujourd’hui, Michael Gregory fournit à des dirigeants les outils dont ils ont besoin pour faire face à des situations compliquées et collaborer plus efficacement. Ce consultant indépendant a pris le temps de discuter avec nous de son travail et des innombrables entrecoupements entre la collaboration et la résolution des conflits au travail.
Amanda Holst : Merci de nous consacrer un moment, Michael. Afin de planter le décor, pouvez-vous présenter à nos lecteurs quelques types de conflits courants au travail ?
Michael Gregory : Il en existe de nombreux types, mais je me représente initialement les conflits sous la forme d’un organigramme. Je peux avoir un conflit avec mon supérieur ou avec des subordonnés. Il peut se produire au même niveau hiérarchique, avec des collègues. Il peut intervenir avec des fournisseurs, d’autres parties prenantes ou des actionnaires : toutes sortes de personnes différentes, qu’elles soient internes à l’organisation ou externes. Toutes ces relations peuvent engendrer des conflits concernant ce que nous souhaitons réaliser. Je me concentre sur l’élément humain du conflit. J’examine des processus et étudie ce que nous pouvons faire pour éliminer ou réduire les éléments et techniques du modèle. Un bon exemple est « l’adéquation à l’usage particulier » qu’envisage le client. Nous arrive-t-il souvent de perdre de vue cette adéquation pour le client ? Comment un conflit peut-il naître ou être exacerbé par le manque d’attention accordée à cette priorité ? D’autres problèmes peuvent concerner les résultats économiques, la rentabilité, un manque de rapidité et de nombreux autres facteurs, qui sont en grande partie liés aux systèmes ou à l’humain. Je m’intéresse principalement à l’aspect humain, mais les deux sont importants.
AH : À votre avis, de quelles manières un conflit au travail a-t-il un impact négatif sur la collaboration ? Certains types de conflits sont-ils plus néfastes que d’autres à la collaboration au sein d’une équipe ?
MG : Si vous examinez une équipe et les conflits qui peuvent exister en son sein, et si vous pensez au fait que, selon certaines études, les employés passent en moyenne 2,8 heures par semaine environ à traiter des questions en lien avec des conflits (ce que j’appellerai une perte de temps sur des conflits), il est aisé de comprendre comment les difficultés physiques et mentales imposées par les conflits non résolus affectent les employés et leur productivité. Ces conflits mobilisent tous types de ressources qui pourraient être utilisées plus efficacement pour autre chose. Ils peuvent aussi avoir un impact négatif sur les relations, ce qui implique naturellement qu’ils peuvent avoir un impact négatif sur les résultats. Il est donc impératif de résoudre (et non d’enterrer) ces conflits au travail, tout en favorisant la cohésion d’équipe et la collaboration. Vous devez encourager la compréhension et promouvoir l’établissement de relations lorsqu’elles semblent faire défaut. Les clés pour y parvenir, comme je le décris dans mon livre, consistent à établir des relations favorisant les connexions, à écouter activement (ce que la plupart d’entre nous maîtrisons mal pour être honnête), puis de former judicieusement, ce qui signifie former les employés de la manière qu’ils préfèrent. Tout ceci est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, mais intégrer ce processus à la situation en question permet d’établir des passerelles qui mèneront vers la négociation de solutions de résolution. Vous avez sans doute déjà fait partie d’équipes dans lesquelles tout fonctionnait bien, que ce soit au travail, durant une activité de loisir avec des amis ou dans le cadre d’une activité sportive. Il peut s’agir de toutes sortes de situations dans lesquelles tout va bien. Dans de telles circonstances, nous savons tous quel est le rôle de chacun et nous savons ce que nous faisons. Nous sommes enthousiastes et nous prenons du plaisir. Une sorte de sentiment de joie émane de ce type de collaboration efficace. Réfléchissez ensuite à la situation inverse, que vous avez sans doute déjà connue également : un environnement qui semble présenter de nombreuses raisons de vous plaindre, ou dans lequel vous vous sentez globalement mécontent, déconcerté et manifestement sur une autre longueur d’onde que ceux qui vous entourent. Vous pouvez alors être amené à vous poser des questions telles que « pourquoi me rejette-t-on ? » ou « pourquoi ne font-ils pas ce que je leur ai demandé ? ». Il peut exister un autre problème : vos interlocuteurs ont peut-être fait ce que vous leur aviez demandé, mais cela ne vous convient pas car ce que vous leur aviez demandé ne correspondait pas réellement à ce que vous souhaitiez. Il peut être aisé de lancer des accusations, mais j’ai personnellement tiré une grande leçon en tant que manager lorsque j’ai commencé à réfléchir à mon propre comportement : peut-être que je n’étais pas assez clair, que j’indiquais ce que je souhaitais avant d’avoir vraiment compris ce que j’attendais, ou que je ne déléguais pas de façon adéquate. Il est utile de réfléchir à ces questions, car elles peuvent toutes engendrer des conflits en nous-mêmes et au sein de nos équipes. Il y a donc des choses que nous pouvons faire. Mais bien souvent, nous les balayons d’un revers de main, nous pensons que les autres comprendront nos attentes d’une manière ou d’une autre ou nous croyons que nous sommes le seul à savoir. À cet égard, une grande partie de la résolution des conflits a trait à ces trois éléments : connecter, écouter et former.
AH : Quelle est la première chose que les leaders doivent faire pour tirer parti de la collaboration dans un conflit ? Comment peuvent-ils se défaire de leurs vieilles habitudes afin d’adopter ce style collaboratif de gestion des conflits ?
MG : Lorsqu’il existe un conflit, il est impératif de commencer par le résoudre. Souvent, les organisations ne font que l’ignorer. Les responsables pensent qu’il disparaîtra de lui-même et qu’avec un peu de chance ils n’auront pas à s’en soucier. Du point du vue du leadership, cette approche envoie un message selon lequel les conflits non résolus ne sont pas un problème. En n’intervenant pas lorsqu’il existe un conflit, vous envoyez un signal négatif. En tant que manager, vous devez faire savoir à votre personnel que vous avez potentiellement un problème. La relation doit reposer sur la confiance, afin qu’elle soit réciproque. D’après mon expérience, il existe dans 90 % des cas des malentendus qui ont provoqué le conflit ou l’alimentent. Par conséquent, en parlant avec les deux parties, en faisant en sorte qu’elles s’écoutent sans se juger, nous pouvons presque toujours avancer. Cela peut se faire via un appel Webex comme celui-ci, autour d’un café, en allant marcher ensemble… Il suffit de créer un espace dans lequel les deux parties se sentent à l’aise et ont le sentiment d’être écoutées lorsqu’elles expriment ce qu’elles pensent. D’après des études, 7 % de l’attitude sont associés aux mots. Ainsi, lorsque nous envoyons un SMS ou un message de ce type, c’est tout ce que nous avons : 7 % de l’attitude sont traduits. Lorsque nous décrochons notre téléphone pour appeler quelqu’un, nous ajoutons le ton de la voix, qui reflète 38 % de l’attitude. Enfin, 55 % de l’attitude sont exprimés par les expressions du visage et le langage corporel. Ainsi, il est clair que pour le style collaboratif de gestion des conflits, les meilleures communications ont lieu en face à face ; viennent ensuite les visioconférences, puis le téléphone. Dans une entreprise où j’ai travaillé, une politique stipulait que si je vous envoyais un e-mail et que vous me répondiez également par un e-mail, il s’agissait d’une itération. Si je vous envoyais un e-mail et que vous me répondiez par un e-mail, il s’agissait de deux itérations. Et si nous n’avions pas résolu le conflit après deux e-mails échangés, vous deviez prendre votre téléphone et appeler la personne concernée, ou vous rendre dans son bureau pour parler avec elle, car vous perdiez trop de temps à communiquer par écrit de manière inadaptée.
AH : Quelles sont les compétences nécessaires pour améliorer la collaboration en cas de conflit ?
MG : Je pense que la plus importante est la capacité à identifier correctement le problème. S’agit-il du vrai problème ? Quel est le problème ? Dans ce processus, il convient ensuite d’ajouter les autres éléments, par exemple l’attitude appropriée. Quelle est mon attitude ? Mon empressement à juger ? Nous devons identifier les éléments qui peuvent nous calmer et nous permettre d’aborder le conflit avec ouverture d’esprit. Nous devons appréhender le conflit non pas en demandant « qu’avez-vous fait de travers ? », mais plutôt « pouvez-vous m’expliquer ce qui est arrivé dans cette situation particulière ? ». D’après mon expérience, il est utile, également, de ne pas aborder la situation en affirmant arriver avec la solution. N’oubliez pas qu’il s’agit de collaboration. Concentrez-vous plutôt sur l’écoute active. Écouter activement implique de paraphraser ce que vous avez entendu afin de vous assurer d’être sur la même longueur d’onde. Posez des questions ouvertes, compatissez, abstenez-vous de juger, faites preuve d’empathie, ne fournissez pas des solutions. Lorsqu’une personne a été écoutée, elle est davantage susceptible de vous écouter. Écoutez en premier. Tout cela est possible, mais uniquement lorsque nous avons conscience de notre propre attitude et avons abordé le conflit avec des intentions positives. Soyez là pour aider.
AH : Pouvez-vous décrire plus en détail les démarches à adopter pour collaborer plus efficacement en cas de conflit ?
MG : Bien sûr. J’en décris quelques-unes dans mon livre. Imaginons que vous vous apprêtez à interagir avec une personne que vous n’avez jamais rencontrée auparavant. Que devez-vous faire avant même de saisir votre téléphone ou de lui envoyer un e-mail ? Faites des recherches sur elle en utilisant plusieurs sources. Essayez d’en savoir plus à son sujet sur LinkedIn. Cherchez d’où elle est originaire ou si une de vos connaissances la connaît aussi ou a déjà travaillé avec elle. Est-elle plutôt thé ou café ? Est-elle du matin ? A-t-elle fréquenté le même lycée que vous ? Essayez de trouver des points de connexion. À partir de là, il est à nouveau question d’intentions et de pleine conscience, une façon de vous centrer sur vous-même avant d’entrer en contact avec elle. Je noterais que la pleine conscience est une pratique que nous devrions appliquer même lorsque nous n’essayons pas directement de résoudre un conflit. Je recommande de consacrer au moins 10 minutes par jour, de préférence deux fois par jour, au développement de cette compétence par la méditation, la prière, la réflexion ou le yoga. Cette pratique nous aide lorsque notre système nerveux déclenche ce qui a été désigné par le terme « détournement d’amygdale », la réaction de lutte ou de fuite qui se produit lorsque nous sommes confrontés à une menace perçue. Certaines études montrent que nous disposons de 6 à 10 secondes pour empêcher la réaction émotionnelle de nous submerger de molécules chimiques et d’hormones qui peuvent rester dans notre corps durant 22 heures ou jusqu’à ce que nous profitions d’un sommeil approprié. Grâce à la pleine conscience, nous pouvons intentionnellement nous charger de clairvoyance pour faire face à cet élément déclencheur en 6 à 10 secondes afin de garder notre calme, notre compétence et notre confiance. Même si je ne suis pas neuroscientifique, j’ai beaucoup appris en travaillant avec des neuroscientifiques pendant 9 ans. Une bonne part de The Collaboration Effect repose sur leurs éclairages. Pour obtenir davantage d’informations scientifiques sur la pleine conscience et d’autres sujets, je recommande de consulter le Greater Good Science Center de l’université de Californie à Berkeley. Il propose une grande quantité de ressources gratuites et de qualité. Je conseille aussi The Brain-Friendly Workplace, un livre du Dr. Erika Garms.
AH : J’aimerais revenir à la communication. Quel est à votre avis l’enseignement que les dirigeants devraient tirer de votre travail ?
MG : Réfléchissez à ce constat : 90 % des managers pensent communiquer efficacement, mais seulement 30 % de leurs employés sont de cet avis. Imaginez tous les conflits qui peuvent résulter de cette discordance. Je conseille aux leaders, dans tous les secteurs d’activité, de s’attacher constamment à améliorer leurs compétences de communication, ce qui inclut l’écoute. Les membres de votre équipe pensent-ils que vous êtes un bon communicant ? Leur avez-vous posé des questions, via un sondage ou un autre moyen ? Perçoivent-ils vos valeurs ? Se sentent-ils entendus et respectés ? Comment le savez-vous ? Lorsque nous commençons à nous poser ces questions et à en chercher les réponses, nous pouvons entamer un processus d’amélioration de notre manière de communiquer et nous pouvons améliorer la collaboration par la suite.
AH : La mission première qui nous guide chez Cisco est de favoriser un avenir inclusif. En quoi l’inclusivité entre-t-elle en jeu dans le style collaboratif de gestion des conflits ?
MG : L’inclusivité évoque pour moi la diversité, l’équité et l’inclusion. J’ai déjà été sollicité pour intervenir et favoriser des progrès dans ce domaine. Je suis vraiment passionné par ce sujet. Les leaders doivent toujours faire preuve d’empathie et s’interroger non seulement sur ce qu’ils ressentent, mais aussi sur ce que peuvent ressentir les autres. Qui est omis ? Que ressent-on lorsqu’on est omis ? D’après mon expérience, les meilleurs leaders sont beaucoup plus susceptibles de demander « qu’en pensez-vous ? » que de dire « voici ce que nous faisons ». Et cette question est sincère. Elle a pour objectif de permettre l’expression de points de vue divers, y compris de la part de ceux qui, pour différentes raisons, peuvent souvent être exclus. Assurez-vous que tout le monde soit entendu. Au niveau de la direction, il convient également de prendre des mesures pertinentes, concrètes et basées sur les réponses à cette question. Les leaders instaurent un sentiment de confiance non seulement en édictant certaines values mais aussi en joignant le geste à la parole, en les incarnant et en les mettant en application. Le cadre des quatre E (Égalité, Équité, Empathie et Éducation) est utile pour mener une réflexion sur ce type de leadership collaboratif. Enfin, et pour en revenir à la collaboration efficace et inclusive, des leaders me demandent souvent « comment pouvons-nous travailler de façon plus collaborative en équipe ? ». La réponse selon moi est que les leaders de tous types doivent mettre en avant et récompenser les équipes. Nous avons trop souvent tendance à saluer et souligner le travail individuel, mais ces individus excellent généralement grâce à l’équipe qui les entoure. J’encourage les leaders à se poser cette question : pourrais-je mettre en lumière, souligner, louer et récompenser plus efficacement les équipes ? Cette question peut vous permettre de générer des répercussions en chaîne qui amélioreront la collaboration dans toute l’organisation.
Réflexions finales de Michael Gregory
La collaboration, au niveau le plus élémentaire, implique au moins deux personnes qui essaient d’atteindre un objectif commun. En développant des relations authentiques, qui favorisent les liens et les connexions, en écoutant activement les autres et en les formant judicieusement de la manière qui leur convient, vous serez en mesure d’établir des passerelles plutôt que d’enterrer les problèmes. Vous serez sur la bonne voie pour parvenir à des solutions de résolution véritables et mutuellement profitables. Gardez simplement en tête que la collaboration est la clé, même lorsqu’elle ne semble pas l’être. Bonne chance et amusez-vous bien ! ***Articles associés au sujet de la collaboration